mercredi 11 octobre 2017

Une conception orchestrale de la communication

La référence cybernétique

Nous avons vu précédemment comment le modèle linéaire de Claude Shannon pouvait intéresser les professionnels de la prise de parole en public. Cependant, les messages que nous échangeons se réduisent rarement au seul langage, et ils servent à bien d'autres choses qu'à nous informer mutuellement.

La distinction entre relation et contenu montrera que la communication ne se limite pas à l'information, celle-ci n'en constituant qu'une partie. Pour déchiffrer un message ou comprendre un comportement cela présuppose qu'on sache dans quel cadre entre celui-ci, dans quel type de relation il s'inscrit. Une femme qui se déshabille devant un homme n'a pas le même sens si cet homme est son médecin ou son amant. Pour comprendre une plaisanterie, cela induit le recadrage de messages ordinaires. Communiquer suppose une métacommunication, qui indique dans quelle case, à quel niveau ou adresse ranger le message qu'il soit visuel, verbal ou comportemental. Cette spécification du cadrage est souvent implicite mais à l'écrit devient explicite (exemple: lol , dans les chats pour indiquer une blague ou mdr, mort de rire, etc.).
Quand Gregory Bateson déclare que "communiquer c'est entrer dans l'orchestre" il indique que vous ne communiquerez pas si vous dissonez ou si votre musique s'harmonise mal avec les partitions des autres et les codes en vigueur. Entrer dans l'orchestre c'est donc jouer le jeu d'un certain code, s'inscrire dans une relation compatible avec les canaux, les médias, le réseau disponible. Or ce réseau nous précède.
Ce que suggère Bateson c'est" qu'avant d'envoyer un message, on doit commencer par se demander auprès de qui et sur quel instrument on doit le jouer".
Bateson caractérise la communication à l'aide de 5 principes:
La communication est un phénomène social
La participation à la communication s'opère selon certains modes , verbaux et non verbaux
L'intentionnalité ne détermine pas la communication
La communication sociale se laisse appréhender par l'image de l'orchestre
L'observateur fait nécessairement partie de l'orchestre
Le modèle de l'orchestre a été repris par Yves Winkin dans son ouvrage "La nouvelle communication".

On voit qu'avec ce schéma la communication est définie comme la production collective d'un groupe qui travaille sous la conduite d'un leader. Les questions à se poser seront : quelle est la conduite des acteurs?Quel est le code régulateur? Quelle est la prestation de chacun? Le schéma de linéaire devient circulaire.
On voit ici l'influence de Wiener, pour qui l'information doit pouvoir circuler. Il entrevoyait l'organisation de la société future sur la base de cette nouvelle matière première que sera l'information.

L'école de Palo Alto

Avec les membres de l'école de Palo Alto, la cybernétique débouche sur l'anthropologie pour se dissoudre dans les sciences humaines. Ce cercle intellectuel qui doit son nom à une petite ville californienne se compose de sociologues, psychiatres, linguistes ou mathématiciens liés par des réseaux informels. Ainsi " la communication va acquérir une valeur englobante: elle est la matrice dans laquelle sont enchâssées toutes les activités humaines". Mais le rejet de la linéarité et du système pour le système prôné par Bateson induit un déplacement décisif, à savoir, la découverte des éléments qui composent le tout et le produisent. Pour lui, les systèmes sont immanents aux actions, ils prennent forme dans les interactions que l'on observe et ne se situent pas en amont de ces dernières comme des sources cachées. Bateson, véritable chercheur pluridisciplinaire, s'associe à Birdwhistell, Hall, Goffman, Watzlawick. Dès lors, dans cette vision circulaire de la communication, le récepteur a un rôle aussi important que l'émetteur. Ils emprunteront des concepts et des modèles à la démarche systémique mais également à la linguistique et à la logique. Ces chercheurs tenteront de rendre compte d'une situation globale d'interaction et non pas seulement d'étudier quelques variables prises isolément.
Ils se fonderont sur trois hypothèses.
L'essence de la communication réside dans des processus relationnels et interactionnels (les éléments comptent moins que les rapports qui s'instaurent entre les éléments)
Tout comportement humain a une valeur communicative (les relations qui se répondent et s'impliquent mutuellement peuvent être envisagées comme un vaste système de communication)
Les troubles psychiques renvoient à des perturbations de la communication entre l'individu porteur du symptôme et son entourage
L'idée de communication comme processus social permanent intégrant de multiples modes de comportement comme la parole, le geste, le regard, l'espace interindividuel s'oppose à la notion de communication isolée comme acte verbal conscient et volontaire qui est sous-entendue dans la sociologie fonctionnaliste.
Ces chercheurs se sont référés pour la plupart au courant structuraliste car pour eux parler de systèmes était en résonnance avec structures. La référence la plus constante allant vers Claude Lévi-Strauss.
Ce "collège" ne fut pas une école au sens rigoureux, européen, du terme avec des fondateurs et des disciples. Il fut un milieu fécond d'échanges, de confrontations, de filiations.
L'école de Palo Alto n'a pas réussi à prouver que tout était communication au sens où l'entendait la cybernétique et la linguistique, elle ne s'est pas par ailleurs intéressé à la communication de masse mais elle a montré en revanche que des pans entiers du comportement humain, notamment les techniques corporelles, devaient être intégrées dans les sciences sociales. La communication est donc faite de culture, de gestes, de silences, d'intonations et de règles d'interaction, ce que ne prennent pas en compte bon nombre de théories( de Shannon à Lazersfeld par exemple).

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