mardi 17 novembre 2009

CM n° 6 Les nouvelles approches des phénomènes de communication


I Approche des communications par les médiations matérielles : la médiologie
La théorie médiologique

Régis Debray appelle "médiologie"
l'étude des médiations à travers lesquelles les idées deviennent des forces matérielles. Il s'agit de comprendre comment la parole d'un prophète devient église, un séminaire, une école, un manifeste, un parti. Comment des forces symboliques deviennent des forces matérielles. La réponse passe par une étude des "technologies de la croyance", c'est-à-dire des voies par lesquelles les idées se diffusent et s'incarnent dans le monde.
Dans médiologie, "médio" désigne, en première approximation, l'ensemble techniquement et socialement déterminé des moyens de transmission et de circulation symbolique. La médiologie consiste à établir, au cas par cas, des corrélations, si possibles vérifiables, entre les activités des hommes (religion, idéologie, littérature, arts, etc.) ses formes d'organisation politique et ses techniques de mémoire. Debray prend comme hypothèse que ce dernier niveau exerce une influence décisive sur les deux premiers. Une table de repas, un système d'éducation, un café, une chaire d'église, une salle de bibliothèque, une machine à écrire, un parlement ne sont pas faits pour diffuser de l'information, ce ne sont pas des médias, mais ils entrent dans le champ de la médiologie en tant que lieux et enjeux de diffusion, vecteurs de sensibilité et matrices de sociabilité. (Debray, 1994)
Les études de Régis Debray l'amènent à formuler une théorie reposant sur quelques principes extraits inductivement des cas. Il formule ainsi la "loi des trois états" du développement des médiateurs culturels.
Ces étapes (logosphère, graphosphère, vidéosphère) commandent tout un système socioculturel (mentalité, mode de vie...)
Chaque média dominant est à la source de transformations de la sensibilité des hommes et de transformations objectives du milieu de vie, ces transformations se produisant en chaîne.

La problématique et l'objet d'étude de la médiologie
Le point de départ de la médiologie est une interrogation fondamentale sur un certain nombre de phénomènes observé : pourquoi telle idée, telle idéologie, tel idéal révolutionnaire ne se sont-ils pas propagés? Pourquoi, en revanche, la religion chrétienne a-t-elle connue l'expansion et le succès? pourquoi l'idéologie marxiste qui a, pour sa diffusion, beaucoup d'analogies avec cette religion, a-t-elle échoué? La réponse à ces questions est à trouver du côté des "faits matériels". C'est ainsi que les objets d'étude de la médiologie apparaissent: il s'agit de tous les médiateurs physiques de la communication. La médiologie est plus précisément alors l'étude des phénomènes matériels de la transmission culturelle.
"N'est-ce pas l'automobile, le son, l'image à domicile, le disque, la télé, ces accélarations de l'individualisme, qui ont mis le projet de civilisation socialiste à mal"

La méthode utilisée par la médiologie

Il s'agit d'études de cas dans lesquelles le chercheur tente de reconstituer toutes les étapes du développement ou de la perte de puissance d'une pensée à travers tous les moyens matériels qu'elles mobilisent. Ce travail nécessite une érudition et des recherches précises d'historien des techniques.
Il s'agit d'établir une corrélation systématique entre : d'une part les activités symboliques (idéologie, politique, culture) ; et d'autre part les formes d'organisation, les systèmes d'autorité induits par tel ou tel mode de production, d'archivage et de transmission de l'information. Voilà le but.

"En d'autres termes : les fonctions sociales qu'on appelait supérieures en bonne philosophie, ne peuvent être étudiées indépendamment des structures sociales et matérielles de la transmission, en dehors des supports de traces, ou des mémoires produites par le développement de la société. Plus que de décloisonner des domaines de recherche, il s'agit d'un entrecroisement des genres et des méthodes : la problématique de la médiologie doit prouver son mouvement en marchant. C'est-à-dire : désidéologiser les idéologies, mais à l'inverse spiritualiser les supports matériels, "idéologiser" les techniques de transmissions. Mentaliser l'outillage mnémotechnique de nos sociétés et techniciser notre outillage mental.

Comment parvient-on à ce type d'hypothèse générale ? Personnellement, j'ai fait une enquête sur l'évolution du "pouvoir intellectuel en France".

J'ai ensuite étudié l'histoire de la prise de corps marxiste en Europe : comment naît d'abord une école de pensée, un mouvement politique, un parti, puis des états. J'ai étudié aussi l'ecclésiologie catholique, enfin, -- et personnellement -- je me suis trouvé entre les frontières du "dire et du faire", dans une pratique personnelle d'un intellectuel qui essaie de transformer en action un discours. Donc qui est obligé de concevoir le discours comme parcours.

Prenons l'exemple du Pouvoir intellectuel en France ; d'abord, l'approche médiologique consiste à ne pas donner une définition substantive mais opératoire de l'intellectuel. C'est la fonction qui fait le statut et non l'inverse. La fonction du "transmettre", en l'occurrence. L'intellectuel est le fils du clerc et non du moine, bien entendu. La logique des opérations est donc celle des appareils de transmission. La logique de cette histoire politique est celle de l'histoire des techniques.

Par exemple : l'histoire des intellectuels d'aujourd'hui est celle d'un milieu qui vit dans une écosphère clôturée par trois pôles : L'Université, L'Edition, Les Médias. Bien sûr, ces pôles coexistent dans le moment présent mais chacun d'eux est historiquement daté. Ceci permet d'utiliser une démarche : si la question du transmettre est catégoriale et transhistorique, la réponse à la question ne peut être qu'historique, particulière et locale. Il faut donc faire de l'histoire, mais aussi aller plus loin.

Il s'agit d'une approche à la fois historique et structurale. La fonction des organes de transmission est plus importante que leur intitulé. Pour dégager la logique des traces, il convient de ne pas s'obnubiler sur les signes et insignes. Par exemple : le journaliste remplit la même fonction que l'église autrefois. Le médiatique est l'ecclésiastique du jour.

On voit ainsi que l'étude de cas est complètée par l'utilisation de la dialectique, raisonnement qui s'efforce d'analyser l'évolution des phénomènes sous l'impact de leurs tensions et de leurs antagonismes. On confronte par exemple des phénomènes d'ordre différent comme les supports techniques et les faits culturels. On montre ainsi comment ils s'interpénètrent et interagissent.


Problème posé par la médiologie

La médiologie se positionne comme une approche positiviste, posture intellectuelle quiui apparaît pour certains comme largement inappropriée à l'étude des phénomènes communicationnels car ceux-ci sont essentiellement des phénomènes de sens.

« L’approche positiviste stipule que seules les données observables et mesurables devraient être retenues pour la recherche. Le positivisme est une démarche mise au point pour les sciences naturelles et qui est désormais appliquée aux études sociales. »(Winberg )
Il semblerait que l'on ne puisse évacuer les significations et le sens de la compréhension des phénomènes humains. Pour certains auteurs, Régis Debray manipule les significations et le sens d'une manière cachée.
"Comment traiter des phénomènes de diffusion des idées dans les milieux humains sans parler du sens que ces actions ont pour les acteurs qui les font. Comment aborder la diffusion du catholicisme, comment parler des conversions au christianisme te tels ou tels indivvidus, groupes sans prendre en compte ce que signifiait pour ces acteurs humains le fait d'adhérer, à leur époque, au christianisme? La négation du sens de ce qui se passe pour les acteurs sociaux dans les diffusions d'idées revient à simplifier de manière caricaturale la complexité des phénomènes humains.(Alex Mucchielli)

Eric Maigret parle, quant à lui, d'un" déterminisme technologique qui tient à sa distance ou à son ignorance des nouvelles technologies de l'information car il est essentiellement préoccupé par la question de l'écrit, de l'imprimé, qui lui semble être au cœur du paradigme de la transmission. " Ce courant semble donc négliger toute la nouveauté de son temps, ce que récuse les médiologues.

II L'approche par la "communication-processus"

La théorie sémio-contextuelle

Le concept de "situation-problème pour un acteur social"
Il s'agit de considérer la situation et sa problématique incorporée, du point de vue de l'acteur. Cette situation et sa problématique pour un acteur représentent la définition que cet acteur donne de cette situation concrète dans laquelle il est impliqué. Cette situation définit une partie du monde, suffisante pour que les activités immédiates de l'acteur prennent un sens pour lui et lui permettent de tenter de résoudre la "problématique" posée par cette configuration particulière du monde pour lui.
Le chercheur va tenter de reconstruire cette vision individuelle en s'appuyant sur l'observation des actions, le recueil des dires de l'acteur et de témoins ainsi que sur des entretiens non directifs. S'ensuit un travail d'analyse d'où émergera une formulation de la situation pour l'acteur.
Propriétés de la situation-problème
Elle est toujours"situation pour un acteur social".
Une situation a toujours une problématique principale pour un acteur.
La situation est à la base des phénomènes de genèse du sens Pour l'acteur, le sens d'un phénomène émerge d'une mise en relation de ce phénomène (conduite, communication) avec la situation dans laquelle il se trouve.

L'objet d'études
Les études, dans l'approche sémio-contextuelle de la communication, s'efforcent d'expliciter le travail de la "communication généralisée processuelle",. Cette dernière étant une conduite expressive d'un acteur social qui est examinée du point de vue de son fonctionnement en tant que processus transformant certains éléments pertinents des contextes d'une situation-problème. Il y a toujours un arrière plan dans lesquelles les choses prennent un sens.
La communication est considérée comme un processus.
Il existe bon nombre d'analyses sémio-contextuelles, toutes "constructivistes". La principale est certainement la méthode de la contextualisation situationnelle dynamique présentée par Alex Mucchielli. Dans l’approche de la sémiotique situationnelle, il n’y a pas de “situation en soi”, c’est-à-dire de situation qui ait une “réalité” objective, définie et définitive.
Ce chercheur reprend l'exemple de l'aveugle qui mendie sur un pont de Brooklin avec à ses genoux une pancarte "aveugle de naissance" qui sera remplacée par un inconnu qui écrira "c'est le printemps, je ne le vois pas"., pancarte qui maintenant a pour effet d'arrêter les passants qui jetteront des pièces alors qu'ils passaient indifférents auparavant. Il prouve ainsi grâce à son analyse utilisant la méthode du tableau comparatif de l'évolution de la situation, que la communication -en tant que processus- intervient pour changer la situation.

http://www.xn--smio-bpa.com/Analyse-d-une-scene-de-mendicite_a111.html
L’article montre que la communication intervient sur la situation définie par les acteurs en présence. Pour ce faire, elle fait intervenir de nouveaux éléments et les met en place dans les différents contextes constitutifs de cette situation. Au final, elle fait donc apparaître une nouvelle situation. En conséquence, dans la nouvelle situation ainsi construite, une conduite qui avait lieu auparavant, change de sens si elle reste la même, puisque son environnement de référence a changé. Ce phénomène concourt donc à faire changer la conduite des acteurs en présence, car ils abandonnent souvent leur ancienne conduite. Ainsi donc, la communication ne « manipule » pas les acteurs, contrairement à l’idée banale répandue, mais elle manipule la situation définie par ces acteurs. C’est le changement de la situation qui mène à la modification des conduites. Il s’agit là d’une nouvelle conception des « effets » de la communication apportée par la sémiotique situationnelle.


III L'approche par la systémique des communications
Les diffférentes systémiques

La systémique des communications abordée par l'école de Palo Alto n'est que rarement utilisée dans les études sur les communications. Citons toutefois la théorie systémique actuelle de communications dite école de Bézier qui prolonge les travaux du collège invisible.

Conclusion
Il faut noter que nous n'avons vu seulement que quelques unes des principales approches des phénomènes de communication. Il s'agit ici de vous montrer l'extrême diversité de ces approches, tant dans les théories de référence, dans leurs problématiques et objets d'étude et dans leurs méthodes d'analyse.








mardi 10 novembre 2009

Cours N° 6 : L'utopie de la communication


Les mythes de la communication par Nicolas Journet
L'auteur pose sept questions.

Pourquoi l'ère de la communication?
Pour cet auteur, les nouvelles technologies de l'information et de la communication ont fait naître, au lendemain de la seconde guerre mondiale, l'espoir d'une révolution qui mettrait fin aux fléaux persistants des sociétés développées ; arbitraire, opacité, conflits, violences... mais la prophétie laisse bientôt la place au désenchantement et aux critiques.
Nicolas Journet est journaliste et pas un chercheur en sciences de l'information et de la communication mais sa réflexion est intéressante à plusieurs titres.
Il compare les industries de l'information et de la communication à un mythe moderne, car créditées de certains pouvoirs comme celui de résoudre les conflits d'intérêts et d'idées ou d'accroître la démocratie.
Il fait un retour historique qui pourrait expliquer l'entrée en société de l'information avec le rappel de l'influence sur la sphère scientifique de Norbert Wiener et la cybernétique. Pour Wiener, la communication jouerait un rôle de transformation globale de la société. Les dysfonctionnements de la vie en société sont attribués à des causes informationnelles comme la rétention, le blocage, les erreurs, le bruit...

Le savoir : une nouvelle richesse?

Second auteur cité, le sociologue américain Daniel Bell, qui est, avec le Français Alain Touraine, à l’origine du courant sociologique Post-industrialiste et considérés comme les pères de l’informationalisme.
A la fin des années 50, et faisant suite à l'ère industrielle, une nouvelle ère voit le jour avec la montée des secteurs de service, l'importance des compétences théoriques et techniques. Les idéaux politiques laissent la place au savoir des scientifiques.

Vers un monde unique?

Dès les années 60, l'espace et le temps sont contractés grâce aux capacités des réseaux de télécommunication faisant resurgir une ancienne utopie: la disparition des frontières entre les communautés humaines menant à la création d'un monde unique, symbolisé par le "village global" de Marshall McLuhan. L'homme peut mener une existence de villageois et entrer en relation avec le monde entier, ce qui est possible avec l'avènement d'internet.
Pourtant, le sociologue Manuel Castells relèvera des désordres ( mafias, krach boursier) et des réactions politiques engendrés par ce "nouvel ordre mondial".

Le rêve de la démocratie directe?

L'abondance des sources d'information et des moyens de diffusion permettrait à tous l'accès aux biens culturels. Par ailleurs la télématique transformerait l'exercice du pouvoir politique puisque chaque citoyen aura la possibilité de s'informer et de d'intervenir dans les décisions politiques locales. Les réseaux câblés et les mémoires informatiques rendent potentiellement superflue l'existence de représentants, on se dirigerait vers la démocratie directe sans représentants politiques. De plus l'interactivité soumet les médias de masse à la critique des consommateurs.
Selon les conceptions on obtiendrait un réseau d'acteurs de plus en plus autonomes mais guidés par la morale de la communication ou à l'inverse une constellation de groupes d'intérêts en compétition.



Une stratégie des idées?

On est dans la sphère géopolitique. Les flux d'information ont une influence directe sur l'état des relations internationales et la "diplomatie des réseaux"" succèderait à la diplomatie de la canonière". Les supports sont le cyberespace et l'objectif recherché: la diffusion des idéaux démocratiques et libéraux.

Ordre ou désordre?

Avant on jugeait néfaste les effets de la communication de masse, maintenant il s'agit de tourner en dérision le post-modernisme . En 1970 , Baudrillard dénonçait l'emprise symbolique de la publicité et des médias sur l'homme moderne. Avant les technologies de l'information et de la communication incarnaient plutôt "Big Brother". Pour d'autres, elles deviennent les vecteurs de l'individualisme et de la fragmentation sociale. L'individu serait devenu apathique et sans lien et ne chercherait qu'à combler ses manques dans la sphère communicationnelle. Baudrillard décrit l'époque contemporaine comme une ère de simulacres où les images tiennent lieu de réel. Ce qui fait dire à Philippe Breton qu'il ne s'agit qu'illusion d'harmonie, individualisme, tribalisation sociale, effondrement des valeurs, nivellement des savoirs. Des visions critiques vont émerger et attribuer aux N T I C le pouvoir d'agir profondément sur les rapports sociaux mais pas pour le bien de l'individu.

Vers la conscience universelle?

Certains analystes donnent au phénomène communicationnel la dimension d'une mutation de la nature même du savoir humain. Émergence d'une intelligence collective par le truchement des réseaux numériques?
Arrivée d'une sphère universelle du savoir sans auteurs sans hiérarchie de nature qui serait le produit des sujets et des machines? Dans le cyberespace il n'y aurait plus ni conflit, ni critique mais seulement partage comme dans la "noosphère de Pierre Teillhard de Chardin".

Pour aller plus loin :

L'ère des réseaux. Entretien avec Manuel Castells

http://www.scienceshumaines.com/l-ere-des-reseaux-entretien-avec-manuel-castells_fr_12093.html

L’IDEE DE DEMOCRATIE ELECTRONIQUE
ORIGINES, VISIONS, QUESTIONS par Thierry Vedel
http://gdrtics.u-paris10.fr/pdf/ecoles/sept2003/01-03_vedel.pdf

Extraits d'un entretien avec Dominique Wolton
Pour une cohabitation... culturelle
Morceaux choisis en vue de la préparation à l'examen


Le monde est peut être devenu un village global sur le plan technique, il ne l'est pas sur le plan social, culturel ou politique. Loin de rapprocher, les N TIC révèlent l'hétérogénéité des systèmes de valeurs. L'autre qui était une réalité lointaine, est devenu une réalité avec laquelle il faut cohabiter. En bref, l'abondance d'informations ne simplifie rien, on peut même dire qu'elle complique tout.
Nous ne sommes plus dans la situation où les identités culturelles bien constituées se frottaient aux autres, mais dans un frottement généralisé qui peut alimenter un sentiment de dépossession, de pertes de repères... C'est pourquoi je considère que plus il y a de la communication, plus il faut renforcer les identités culturelles pour que des peuples ne se sentent pas dépossédés ou menacés par l'ouverture aux autres. Car alors, le risque est de basculer dans ce que j'appelle une "identité-refuge". J'entends par identités culturelles identités non pas repliées sur le communautarisme mais au contraire reliées à des valeurs politiques démocratiques. Le récepteur filtre et hiérarchise mais il ne peut le faire seul. Sa capacité critique suppose comme condition préalable l'existence d'une identité culturelle. Et dans cette hypothèse, la capacité de résistance des récepteurs n'est pas a même d'un pays à l'autre, selon que l'identité culturelle est affirmée ou déstabilisée.
Le village global est une réalité technique qui attend un projet politique; car plus les techniques réduisent les distances géographiques, plus les distances culturelles prennent de l'importance et obligent à un projet humaniste pour que les hommes se tolèrent. Sinon, l'information et la communication, qui ont été pendant des siècles des facteurs de liberté et de progrès, peuvent devenir au XXIème siècle des facteurs de guerre."
On peut passer des heures avec des machines, sans être capable d'entretenir des relations humaines et sociales satisfaisantes. Le progrès technique ne suffit pas pour créer un progrès de la communication humaine et sociale. Opposer les anciens et les nouveaux médias est une problématique dépassée; il faut les penser ensemble. L'essentiel de la communication n'est pas du côté des techniques mais du côté des hommes et des sociétés.
Dominique Wolton est directeur de recherche au CNRS.

Vers une intelligence collective? de Jean-François Dortier
Morceaux choisis en vue de la préparation à l'examen


Avec sa théorie de la noosphère, Pierre Teillhard de Chardin aurait-il anticipé l'émergence d'une pensée universelle dont Internet serait devenu le support? L'étude du fonctionnement des communautés scientifiques sur internet tempère cet espoir de constituer une intelligence collective.
La noosphère ou sphère des idées est à l'image de la biosphère ou de l'atmosphère qui enveloppent la planète et se développe avec toutes les formes de connaissances humaines qui se répandent sur la Terre. Ainsi de mille pensées individuelles va émerger une pensée collective.
Teillhard de Chardin est la référence pour bon nombre de théoriciens d'Internet. D'un réseau d'ordinateurs inter connectés émergerait une intelligence collective.
Cette thèse de l'intelligence collective ou attitude baptisée "webtitude" est fondé sur l'interactivité, l'hypertextualité (les contenus de savoir sont liés les uns aux autres par des liens), et la connectivité. Le savoir devient partagé par tous.
Mais si l'on prend l'exemple des chercheurs scientifiques on s'aperçoit que le Net transforme les conditions de production des revues scientifiques, accélère la communication entre les chercheurs mais ne change pas les règles du jeu.
Ainsi il ne change pas le mode de collaboration de ces derniers, ni les stratégies pour conserver des secrets que les autres chercheurs ne doivent connaître sous peine de se voir dépassés par eux.
D'autre part le Net n'abolit pas les les frontières entre les communautés scientifiques, pas plus celle entre scientifiques et citoyen lambda.
Le www n'est pas plus une bibliothèque virtuelle universelle car la réglementation des droits d'auteur empêche la publication des ouvrages récents.
Dortier pense que la connexion des intelligences par le biais d'ordinateurs ne suffit pas à produire une conscience collective, ou univers de pensée virtuel car la diffusion des savoirs est plus complexe et met en jeu beaucoup d'acteurs différents avec des enjeux concurrents quelquefois.

L'intégralité des textes se trouve dans " La communication , état des savoirs" aux éditions Sciences humaines

Autre livre :

dimanche 1 novembre 2009

Cours n°5 bis Les approches scientifiques classiques des phénomènes de communication



Les approches d'origine linguistique

Le paradigme sémiologique

L'objet ultime des études faites dans ce paradigme est ce qu'évoque dans la tête du récepteur la communication qu'il reçoit. Cela présuppose que tous les phénomènes de communication ont des "effets" sur les représentations que les acteurs ont des choses. Les mots, les phrases, les discours mais également les conduites, les images évoquent des significations dans l'esprit des récepteurs. On appelle "effet" de la communication l'ensemble des significations évoquées. Cela renvoie chez le récepteur à un répertoire de significations.
Ici, le psychisme du récepteur est une sorte de dictionnaire qui donne les significations attachées à chaque élément de communication. Ces éléments peuvent être des mots ou des signes, des objets ou des images. Les analyses décomposent le message global en composants.
Depuis Ferdinand de Saussure, l'idée qui préside à cette vision est la distinction faite entre le signifiant et le signifié.
En effet, la théorie linguistique de Saussure est nettement sémiotique dans la mesure où elle interprète le langage comme un ensemble de signes: le linguiste distingue dans le signe deux éléments, le signifiant et le signifié. Le signe est formé de deux parties:

a) une partie matérielle: le SIGNIFIANT (image acoustique, image mentale du signe, la représentation mentale sonore)

b) une partie immatérielle: le SIGNIFIÉ (partie conceptuelle du signe --notion).

Prenons un exemple, le mot "oiseau":

Les analyses de contenu sémantiques

Elles sont faites pour révéler ce qui est évoqué chez le récepteur selon le schéma de Laswell (qui parle? Pour dire quoi? A qui? Comment? Dans quel but? Avec quel résultat?).
La signification "réelle" d'un mot mais aussi d'une conduite, d'une image s'inscrit dans un "espace sémantique" dont les spécialistes ont étudié la structure le plus souvent à l'aide de méthodes statistiques.
Les linguistes ont extrait trois dimensions dichotomiques (coupées en deux) fondamentales de cet espace:
La valeur : exemple amical-distant; bon-mauvais; beau-laid; propre-sale; amour-haine
La puissance: vie-mort; fort-faible; dur-mou
L'activité : dynamique-apathique; actif-passif; travailleur-paresseux; tendu-relâché
En fonction de chaque signifiant on prépare une échelle sémantique généralement de sept degrés, qui en fonction des résultats permettent de faire des hypothèses sur les différences de mentalités des individus étudiés.
en marketing les échelles sémantiques sont du genre :
Que pensez-vous de la qualité de nos produits ?
Excellent - Très bien - Bien - Mauvais - Très mauvais
Etes-vous satisfait du Service Après Vente ?
Tout à fait - Plutôt - Plutôt pas - Pas du tout

Les analyses de contenu sémiologiques

Distinction signe ~ symbole ~ icone
Comme l'explique Charles Peirce, lorsque deux signes sont liés par leur signifiés, on parle alors de symbolisation (ou connotation), et donc de la construction d'un symbole. Le symbole résulte d'une relation conventionnelle et arbitraire commune à une ou à plusieurs cultures. Le signe linguistique est, en fait, un type particulier de symbole.

Ex. de symboles:

  • une colombe symbolise un message de paix



Cette analyse repère dans un message visuel global ( affiche, tableau, dessin...) des types de signes auxquels elle donne des significations. Elle interprète donc des signes plastiques, qu'ils soient non spécifiques comme la couleur, la lumière, les lignes, et /ou spécifiques comme le cadre, le cadrage, la perspective. Cela renvoie à des significations qui sont souvent culturelles. Les interprétations sont de plus souvent liées à l'expérience personnelle du récepteur. Il s'agit donc d'une mise en relation des signes avec leur répertoire culturel de significations. Le noir pour le deuil en Occident, le blanc pour les Orientaux par exemple.
Pour faire de l'analyse sémiologique des images, il faut donc être aguerri au repérage des signes pertinents contenus dans l'image et ensuite connaître les codes culturels attachés à chaque type de signe et être capable d'expliciter les significations liées à chaque signe.

On cite toujours comme exemple de l'analyse sémiologique de l'image, l'analyse faite par Roland Barthes d'une affiche pour les pâtes Panzani. Rhétorique de l'image in Communication, n°4, 1964. Voici une publicité Panzani : des paquets de pâtes, une boîte, un sachet, des tomates, des oignons, des poivrons, un champignon, le tout sortant d'un filet à demi ouvert, dans des teintes jaunes et vertes sur fond rouge. Essayons d' « écrémer » les différents messages qu'elle peut contenir.
L'image livre tout de suite un premier message, dont la substance est linguistique; les supports en sont la légende, marginale, et les étiquettes, qui, elles, sont insérées dans le naturel de la scène, comme « en abyme » ; le code dans lequel est prélevé ce message n'est autre que celui de la langue française; pour être déchiffré, ce message n'exige d'autre savoir que la connaissance de l'écriture et du français. A vrai dire, ce message lui-même peut encore se décomposer, car le signe Panzani ne livre pas seulement le nom de la firme, mais aussi, par son assonance, un signifié supplémentaire qui est, si l'on veut, l'«italianité » ; le message linguistique est donc double ( du moins dans cette image) : de dénotation et de connotation; toutefois, comme il n'y a ici qu'un seul signe typique, à savoir celui du langage articulé (écrit), on ne comptera qu'un seul message.
Le message linguistique mis de côté, il reste l'image pure (même si les étiquettes en font partie à titre anecdotique). Cette image livre aussitôt une série de signes discontinus. Voici d'abord ( cet ordre est indifférent, car ces signes ne sont pas linéaires ), l'idée qu'il s'agit, dans la scène représentée, d'un retour du marché ; ce signifié implique lui-même deux valeurs euphoriques : celle de la fraîcheur des produits et celle de la préparation purement ménagère à laquelle ils sont destinés; son signifiant est le filet entrouvert qui laisse s'épandre les provisions sur la table, comme « au déballé ». Pour lire ce premier signe, il suffit d'un savoir en quelque sorte implanté dans les usages d'une civilisation très large, où « faire soi-même son marché » s'oppose à l'approvisionnement expéditif (conserves, frigidaires) d'une civilisation plus « mécanique ». Un second signe est à peu près aussi évident; son signifiant est la réunion de la tomate, du poivron et de la teinte tricolore (jaune, vert, rouge) de l'affiche; son signifié est l'Italie, ou plutôt l'italianité, ce signe est dans un rapport de redondance avec le signe connoté du message linguistique (l'assonance italienne du nom Panzani) ; le savoir mobilisé par ce signe est déjà plus particulier : c'est un savoir proprement « français » (les Italiens ne pourraient guère percevoir la connotation du nom propre, non plus probablement que l'italianité de la tomate et du poivron), fondé sur une connaissance de certains stéréotypes touristiques. Continuant d'explorer l'image (ce qui ne veut pas dire qu'elle ne soit entièrement claire du premier coup ), on y découvre sans peine au moins deux autres signes; dans l'un, le rassemblement serré d'objets différents transmet l'idée d'un service culinaire total, comme si d'une part Panzani fournissait tout ce qui est nécessaire à un plat composé, et comme si d'autre part le concentré de la boîte égalait les produits naturels qui l'entourent, la scène faisant le pont en quelque sorte entre l'origine des produits et leur dernier état; dans l'autre signe, la composition, évoquant le souvenir de tant de peintures alimentaires, renvoie à un signifié esthétique : c'est la « nature morte », ou comme il est mieux dit dans d'autres langues, le « still living » ; le savoir nécessaire est ici fortement culturel. On pourrait suggérer qu'à ces quatre signes, s'ajoute une dernière information: celle-là même qui nous dit qu'il s'agit ici d'une publicité, et qui provient à la fois de la place de l'image dans la revue et de l'insistance des étiquettes Panzani (sans parler de la légende).


Les approches d'origine sociologique

L'approche fonctionnaliste

Les recherches ont longtemps été guidées par des présupposés sur les effets potentiels des médias et par un rejet élitiste plus ou moins marqué des goûts et des choix des populations. Lazarsfeld va rompre avec ce type de recherche en proposant une démarche dite empirique. Ce tournant a pu voir le jour car les universités américaines ont été préparées par le tournant pragmatique et l'interactionnisme. Ses travaux seront repris par la suite par Katz.
Le principe de base de l'approche fonctionnaliste de la société inspirée par Merton est que la société, comme une totalité organique, a des « besoins fonctionnels « qui doivent être satisfaits pour qu'elle fonctionne correctement. Les communications de masse sont des communications qui répondent à ces besoins. Les acteurs sociaux vont donc utiliser ces médias pour que ceux ci répondent à leurs principaux besoins. C'est là l'origine de la théorie des "usages et gratifications". Ces fonctions sont des fonctions de divertissement, d'information, d'évasion, de renforcement de leurs valeurs, de conformisme social, de compréhension d'autrui, d'échanges phatiques, de recherche de compensations.
Mais ils existent également des besoins fonctionnels de l'organisation comme celui de cohérence culturelle, besoin de partage des valeurs et de normes, besoin de compréhension mutuelle...
D'où la question posée par les fonctionnalistes: " Pourquoi et comment utilisons-nous les médias?" Les médias peuvent être décrits avec la métaphore du courant électrique: à l'image de la prise électrique, chacun peut y brancher un fer à repasser, un ordinateur, une télévision ou une tondeuse. Il s'agit de la problématique des usages. Quant aux gratifications, elles renvoient à l'idée selon laquelle le récepteur opère un choix conscient ou inconscient, de manière à maximaliser le plaisir qu'il peut y prendre. Il "tord " les messages afin de prendre l'interprétation la plus gratifiante pour lui-même.
Il suffit aux sociologues d'étudier les réponses précises venant d'acteurs sociaux précis dans des circonstances concrètes et précises en un mot d'étudier les relations entre styles de vie et consommation des médias.
Il s'agit d'enquêtes et de sondages auprès de populations de récepteurs ayant des rôles sociaux bien définis dans le système social, le tout à base de questionnaires qui seront ensuite traités pour donner des statistiques.
Il ne s'agit pas d'étudier les effets ou les conséquences. Si l'on prend l'exemple du rôle des films auprès de la jeunesse, il s'agira de montrer qu'ils répondent à des besoins de divertissement, d'évasion, d'acculturation et non étudier les répercussions sur les conduites de tel type de film (perte de faculté critique, imitation). Les recherches sur les usages et gratifications s'efforcent de montrer comment les récepteurs font leurs choix.

Les approches critiques
L'école de Francfort
Cette école désigne un courant intellectuel philosophique et sociologique marqué par les travaux de chercheurs tels Horkheimer, Adorno, Marcuse, Habermas qui ont notamment traité des problèmes de la raison instrumentale, de l'identité, de l'autorité, et donc de la communication sous l'angle des mass médias. Leurs théories de référence sont principalement le marxisme et le freudisme. Alors que les empiristes américains voyaient dans les médias un moyen de garantir la démocratie, les sociologues critiques mettent l'accent sur la domination idéologique relayée par les médias. ces derniers ne font que renforcer le pouvoir en place et la culture dominante. Les questions privilégiées sont:
Qui contrôlent les instruments de communication?
Au bénéfice de qui?
Les réponses sont sans appel et confirment que les médias sont des industries cultuelles, des instruments de diffusion de l'idéologie capitaliste dominante. Elles démontrent également que la publicité et les médias adoptent moins un discours informatif qu'un discours idéologique. Pour eux, les récepteurs sont manipulés par une élite dirigeante qui contrôlent les médias.

Les approches critiques françaises actuelles
Ces approches se situent dans le droit fil de l'école de Francfort dont elles reprennent les objets et les théories. Elles s'occupent des retombées sur le social de toutes les transformations subies par es diverses formes de communication sous l'impact de la modernité et de la technologie.
S'y mêlent généralement la philosophie et la sociologie.
Elles sont en général sévères à l'égard des ensembles théoriques précédents à qui elles reprochent de se situer au niveau microsocial. L'autre reproche fait est de négliger la réflexion générale et philosophique sur les conséquences de " l'informationnalisation de la société" (Miège). Ces études montrent que le social est maltraité par des puissances dominantes asservissantes. Selon elles, nous " nous dirigeons vers une société du contrôle" (Mattelard).