lundi 28 mars 2011

CM N° 6 Internet et ses usages



Le développement des technologies de l'information et de la communication (T.I.C. et N.T.I.C.) a donné lieu à une abondante production de théories et de travaux de recherche émanant de sociologues, d'économistes et de spécialistes en sciences de l'information et de la communication.
Très rapidement, les premières études confirmaient ce que J. Jouet pouvait observer, à savoir que " les outils ne suivaient pas les prescriptions des offreurs et que les usages réels étaient loin de correspondre à ce qui était attendu". En guise d'explications, les chercheurs ont fait appel à plusieurs modèles qu'ils ont commentés, voire décriés dont le premier, le modèle de la diffusion.
Ce modèle élaboré dans les années 50 par l'Américain Everett Rogers, postule qu'une innovation se diffuse si les différentes catégories d'acteurs y trouvent successivement de l'intérêt, en passant par des étapes qui sont information, persuasion, décision, application et confirmation, auxquelles correspondent des acteurs différents ( innovateurs, adopteurs précoces, majorité précoce, majorité tardive et retardataires).

Or cette vision d'une expansion illimitée de l'outil informatique et de l'interactivité des réseaux semble se heurter à des réalités économiques et sociales complexes. Il existe des obstacles à la diffusion tels que l'analphabétisme et les coûts d'utilisation ainsi que l'âge, ce que précise Benoît Lelong, pour qui "l'informatique est bien plus inégalitaire que les revenus", en raison dez compétences spécifiques qu'elle réclame, et l'utilisation d'internet est encore plus inégalitaire que la possession d'ordinateur.
Le modèle de la traduction a, quant à lui, été proposé par Michel Callon et Bruno Latour. Ces derniers insistent sur le fait que les innovations techniques résultent de négociations et que certains individus jouent un rôle décisif en se montrant capables de prélever des informations dans un monde et de les traduire en informations acceptables dans un autre.
Le modèle de l'innovation, inspiré par le précédent et mis en forme en partie par Madeleine Akrich et Patrice Flichy, souligne qu'une innovation devient stable à l'issue d'un processus long, lorsqu'il y a alliance dans un cadre sociotechnique entre d'une part le cadre de fonctionnement (celui des savoirs et des savoir-faire de la communauté technicienne) et d'autre part, le cadre d'usage. Mais comme le remarque Bernard Miège, ce modèle privilégie le temps court, alors que les mouvements de la société et de la technique sur le temps long expliquent l'émergence de certaines catégories de produit. Pour P. Flichy, la diffusion des techniques comme internet ne tient pas seulement à l'innovation technologique et ses usages pratiques mais doit prendre en compte le rôle de l'"imaginaire technique". Ainsi, jusque dans les années 80, le réseau des réseaux est présenté par la communauté des chercheurs comme un outil de communcation ouvert, égalitaire, qui permet de créer de nouvelles communautés. Selon cet auteur, il s'agit là de l" utopie maîtresse de l'imaginaire technique d'Internet. depuis, sa diffusion dans la société a débouché sur la naissance d'un mythe : la communauté virtuelle à laquelle pourrait participer l'ensemble de la population. Pas plus que la technique, cet imaginaire ne tombe du ciel. Autrement dit, il n'y a pas de père fondateur qui aurait défini une fois pour toute un imaginaire technique qui n'aurait plus qu'à se déployer dans le temps. Cet imaginaire est aussi le résultat d'une construction sociale." Aucun imaginaire tecnique n'est allé aussi loin que celui d'Internet. S'y dessine ainsi une société radicalement différente, qui pourrait se réguler en l'absence de tout pouvoir politique. Même le rapport au corps se trouve posée en termes nouveaux avec l'émergence de communautés virtuelles.

La question de l’opinion et de la délibération collective sur Internet :
Internet, un outil de la démocratie?
Internet représente-t-il une menace ou une chance pour la démocratie? Le levier d’une balkanisation de l’opinion publique ou le ferment de nouvelles pratiques délibératives ? Patrice Flichy présente une importante synthèse des travaux disponibles sur ces questions.

Cette discussion a trouvé une nouvelle actualité avec l’apparition des blogs et plus largement des applications du web 2.0 qui permettent à l’internaute de s’exprimer encore plus facilement que précédemment. Internet, contrairement à la radio ou à la télévision, met en situation d’égalité l’émetteur et le récepteur, c’est donc, à première vue, l’outil idéal pour une démocratie participative où le citoyen pourrait intervenir très régulièrement dans le débat public. Mais comment cette question a d’abord été abordée au démarrage de cette nouvelle technologie, puis dans la période actuelle. Internet reproduit-il la concentration des médias traditionnels ou permet-il à de nouveaux acteurs de prendre la parole ? Le nouvel univers électronique favorise-t-il la délibération démocratique ou une balkanisation des opinions publiques ? Enfin, internet est-il en symbiose avec de nouveaux modes d’engagement citoyen ? Quinze ans après le lancement de l’informatique de réseau dans le grand public, un tel bilan paraît nécessaire.

Confrontation, échanges d’arguments et consensus

Le journaliste Howard Rheingold voit dans l'internet un dispositif capable de revitaliser la démocratie. Cette vision politique d’internet sera reprise par de nombreux auteurs et notamment par Al Gore, alors vice-président des Etats-Unis, . Elle constituera un des éléments forts d’attraction de cette nouvelle technique.

Mais rapidement des universitaires qui observent le comportement des communautés en ligne contestent cette perspective. Les forums sont souvent le siège de ces guerres d’injures où les internautes défendent violemment des opinions dont ils ne veulent plus démordre. Les internautes peuvent effectivement échanger sur un pied d’égalité. Par contre, l’échange argumenté est loin d’être toujours la règle. Le débat ne tend pas vers l’élaboration d’une position commune, mais plutôt vers une multiplication de points de vue contradictoires. Cet éclatement des opinions est encore renforcé par le fait que les identités des internautes sont floues et mobiles. Non seulement les interlocuteurs utilisent des pseudos et se créent une identité virtuelle, mais encore ils peuvent changer d’identité, en avoir plusieurs. Les communautés virtuelles encouragent, au contraire, la multiplicité de points de vue rigides plutôt que la flexibilité.

L’intimité instrumentale

Mais la pratique des forums, des chats ou des listes de discussion constitue toujours une activité importante des internautes. Ceux-ci ne se rendent pas dans ces espaces virtuels uniquement pour le plaisir de s’injurier ou de simuler une autre identité ! Les communautés en ligne ont été caractérisées par les fondateurs d’internet comme des communautés d’ « intérêt commun » . Il est ainsi plus facile que dans la vie réelle de trouver des individus qui puissent partager tel ou tel de nos intérêts. Cet échange ne concerne pas l’ensemble de la vie d’un individu, mais certains aspects de sa personnalité liés à un domaine des loisirs mais aussi à des aspects plus intimes : maladies, événements familiaux... L’échange sera intense mais limité à une facette de la personnalité. On peut alors parler d’ « intimité instrumentale ». Ces communautés, qui sont très abondantes sur internet et souvent pérennes peuvent échanger des expériences ou des connaissances.

On pourrait citer des exemples comme le développement de Linux ou dans le domaine de la santé , des critiques des produits culturels… Dans tous ces cas, les communautés d’intérêt constituent un domaine où internet peut être un vrai lieu d’échange et de débat public productif. On constate également que ces communautés sont moins homogènes qu’on ne l’estime souvent. Experts et novices s’y côtoient de façon constructive.

Le consommateur et le citoyen

Ce qui distingue fondamentalement internet des médias précédents, c’est que cette technique permet d’offrir à l’internaute une information personnalisée (customized). Non seulement le consommateur peut trouver beaucoup plus facilement un produit directement adapté à sa demande, mais il peut également construire son propre journal.

Pourtant les citoyens ne pensent pas et n’agissent pas comme des consommateurs ». La démocratie politique est le résultat d’un gouvernement de la délibération. Les choix politiques ne correspondent pas toujours aux intérêts personnels de l’individu, mais à ceux de la collectivité.

Mais à l’heure où internet est beaucoup plus régulé par les Etats, ce débat paraît un peu lointain, cependant il n’est intéressant à citer que dans la mesure où il permet de montrer qu’il y a bien au démarrage d’internet une réelle ambiguïté entre consommateur et citoyen et qu’elle a perduré.

Moyen de communication et démocratie

Si personne ne conteste le fait que grâce à internet le citoyen a potentiellement accès à une information plus riche qu’auparavant et qu’il peut participer à de nombreux débats, la controverse porte plutôt sur la question de savoir si l’internaute ne consulte que des sites ou des forums proches de ses opinions ou si au contraire internet lui offre des occasions de rencontrer des positions différentes. En d’autres termes, est-ce qu’internet freine ou renforce la démocratie délibérative ?

Pour Sunstein, la matrice d’une expression publique démocratique est la prise de parole dans les parcs, la manifestation sur la voie publique. De cette façon, le citoyen rencontre de façon non intentionnelle d’autres points de vue que le sien, il prend conscience de l’existence d’autres opinions. L’autre élément fondateur de la démocratie est l’expérience partagée, elle fournit une sorte de « colle sociale ». Les grands médias concentrent l’attention, autour de quelques émissions phares, internet au contraire tendrait à balkaniser le discours politique

Pour pouvoir examiner comment l’internaute réagit face à ce foisonnement d’expressions publiques, il convient d’examiner comment ce champ informationnel est structuré. Est-il concentré ou éclaté ? Est-il ouvert à de nouveaux acteurs ? Y a-t-il des relations entre les sites ?

La concentration de l’information en ligne

Internet propose une information riche et abondante, quantitativement très importante.Cette abondance de l’information en ligne se traduit-elle par une grande diversité de la réception de l’information ? En fait, il n’en est rien, le citoyen concentre son attention autour de quelques sites qui viennent du monde traditionnel des médias et apportent a priori une information diversifiée et de qualité.

Un espace ouvert

Cette concentration des sites web signifie-t-elle qu’internet n’est en rien différent des autres médias. Évidemment non. Internet est un espace où il est plus facile qu’ailleurs de produire de l’information, où les barrières à l’entrée sont moindres. De nombreuses opinions s’expriment sur internet qui n’ont pas trouvé ou difficilement trouvé des espaces d’expression dans les médias classiques. Ce fut le cas lors du référendum sur la constitution européenne. Alors que les promoteurs du « oui » ont eu accès largement aux médias classiques, les partisans du « non » qui dans l’ensemble n’appartenaient pas aux organisations politiques dominantes, ont largement utilisé le web pour présenter leur opinion. D’après l’étude de Guilhem Fouetillou, les deux tiers des sites web qui ont traité du référendum soutenaient le « non ».

Les débats sur internet

Une enquête menée par Jennifer Stromer-Galley auprès des participants à trois groupes de discussion en ligne permet de voir si les interactions se déroulent au sein de communautés homogènes ou hétérogènes. Incontestablement, internet permet de rencontrer des gens qui pensent comme vous. On retrouve là la thèse des communautés d’intérêt qui est au cœur du développement d’internet. Cette demande de rencontre de personnes d’opinions proches semble d’autant plus forte que l’individu se trouve idéologiquement isolé dans son environnement naturel. On voit ainsi qu’on ne peut pas analyser l’impact d’internet indépendamment du contexte de la vie réelle.

A l’inverse, de nombreux interviewés valorisent la diversité. Ils expriment le plaisir qu’il y a à rencontrer en ligne des gens différents d’eux par leur origine sociale ou géographique, mais aussi des gens qui pensent différemment. Ces internautes rencontrent ainsi un public devant lequel ils peuvent s’exprimer. Parfois, ces opinions différentes peuvent les inquiéter ou les heurter, mais c’est plutôt perçu comme une occasion de clarifier ses idées, d’affuter ses arguments. De telles occasions existent rarement dans la vie réelle. En effet, les travaux de Wyatt et Katz sur les conversations politiques montrent que celles-ci se déroulent le plus souvent à la maison et au travail et ont lieu pour l’essentiel (80 à 85%) avec des gens avec lesquels on n’a pas de désaccords fréquents.
Si on généralise les conclusions de l’étude monographique de Stromer-Galley, on peut considérer qu’internet favorise le débat public. Mais il s’agit d’un débat intentionnel, ces internautes ont décidé de venir spécifiquement sur ces sites.

Internet et l’engagement politique

Pour terminer ce panorama de la place d’internet dans le fonctionnement démocratique, il convient d’examiner le rôle que joue le réseau informatique dans l’activité militante. Dans un contexte où l’engagement militant est souvent en crise (diminution du nombre de militants, hésitation à s’« encarter »…), internet a ouvert un outil adapté aux nouvelles formes de militantisme aussi bien dans les partis traditionnels que dans les nouvelles organisations militantes.

En définitive, internet n’a pas en lui-même d’effet négatif sur la délibération démocratique. Il s’est en partie moulé sur les caractéristiques de notre société, mais il offre aussi de réelles opportunités pour de nouvelles formes démocratiques, multiples et réticulaires, où le citoyen ne se contente pas d’élire ses représentants, mais où il peut débattre, surveiller et évaluer leurs actions.

mercredi 29 septembre 2010

L'introduction à l'introduction aux Sciences de l'information et communication

Et si on résumait le tout par un schéma.

Pour reprendre une image, les SIC peuvent être comparées à une antichambre ou un hall d'entrée avec de multiples portes d'entrée. Le maître mot est interdisciplinarité. Rappelons comme Daniel Bougnoux que les SIC correspondent à une exigence pédagogique et théorique. Elles sont nées dans les universités du désir d'adapter leurs filières à des débouchés inédits et à l'essor rapide de nouvelles professions. Elles tentent de cadrer les transformations des médias, le développement incessant des nouvelles technologies ainsi que l'essor des relations publiques. Les SIC prolongent à leur manière la philosophie en relançant les grandes questions traditionnelles sur la vérité, le réel, le lien social, l'imaginaire, la possibilité de l'enseignement, de la justice, du consensus, du beau, etc. avec des concepts renouvelés car retrempés notamment selon l'expression de Daniel Bougnoux dans la sémiologie et la pragmatique.
Comme Alex Mucchielli , on peut distinguer quatre domaines d'étude privilégiés :
-Les Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication
-Les Mass medias
-Les communications de type publicitaires
-Les communications d'entreprise

mardi 23 février 2010

CM n° 3 L' école de Chicago

Les concepts fondamentaux des sciences sociales et la communication
Les premiers sociologues ont posé les fondements de l'étude de la communication interpersonnelle et de la communication de masse en même temps que les fondements d'une analyse des relations entre les individus. Karl Marx a ainsi détaché les hommes du règne naturel en utilisant le concept de rapports sociaux, chargé de souligner la dépendance réciproque tant dans le domaine du rapport à la nature que dans celui des idées. Avec le concept d'idéologie et de classes sociales, Marx apporte le conflit dans l'étude des sociétés. Les pensées, les représentations et les images que nous utilisons expriment autant qu'elles imposent des points de vue structurés sur le monde qui sont généralement partagés par les individus qui composent les groupes sociaux cohérents (E. Maigret).

Emile Durkheim parla lui de réalité sui generis des faits sociaux, abordés comme des choses. Il met plutôt l'accent sur le consensus, l'intégration sociale primordiale selon lui pour éviter le désordre moral. Le langage est par exemple transmis dès la naissance et non choisi librement, faisant l'objet d'un consensus logique inculqué par contrainte sociale, comme nos façons d'être, de penser ou d'agir.

Max Weber évoque les formes de l'action sociale, irréductibles à autre chose qu'elles-mêmes car elles sont dépendantes du sens qu'en donnent les individus. Il dissocie le caractère intentionnel des actions sociales en quatre modèles, action rationnelle en finalité (on accorde des moyens à des fins), action rationnelle en valeur (elle est enracinée dans des croyances), action rationnelle affective ( les sentiments sont moteurs), action rationnelle en tradition (l'habitude domine). Toute action fait sens pour l'individu et doit donc ainsi faire sens au sociologue qui cherche à la comprendre.
Gabriel Tarde est en opposition avec la sociologie positive de Durkheim, lui reprochant de considérer les phénomènes sociaux détachés des sujets conscients qui se les représentent. Il veut rendre compte de la nature subjective des interactions sociales. Pour Tarde la société est entrée dans l'ère des publics qu'il oppose à l'ère des foules.

Les pères fondateurs européens et les médias
Durkheim réfute l'influence directe des journaux sur les consciences individuelles dans Le Suicide. Il démontre à l'aide d'éléments statistiques qu'il n'existe pas de propagation des suicides liée à la couverture médiatique. Pour Tocqueville (De la démocratie en Amérique 1835-1840), la presse a un immense pouvoir en démocratie mais pas celui de manipuler les consciences. Elle remplit 3 fonctions, à savoir:
-garantir la liberté en mettant à nu les ressorts de la politique
-maintenir la communauté en fournissant des valeurs communes
-rendre possible et rapide une action concertée.
Gabriel Tarde a proposé un modèle de communication qui rejetait l'idée d'influence directe et autoritaire de la presse au profit de l'idée de public actif. Les journaux proposent des sortes de menus fournissant des perspectives multiples tant en économie, en politique, etc. venant ainsi animer les conversation. "Il suffit d'une plume pour mettre en mouvement des millions de langues". Pour Tarde c'est la conversation qui est à l'origine des opinions individuelles qui se regroupent en opinions sociales.
Marx et Engels ont étudié le roman populaire "socialiste" en se posant la question de son impact bénéfique sur les sentiments révolutionnaires.
Mais les intuitions de ces pères fondateurs n'ont pas eu d'écho immédiat peut être à cause du sous développement relatif des grands médias en Europe et des deux guerres mondiales.

Le pragmatisme américain

Dès les années 1910, la communication a, aux États Unis, partie liée avec le projet de construction d'une science sociale qui repose sur des bases empiriques. L'école de Chicago en est le foyer. Le pragmatisme, courant philosophique dominant, se veut porteur de progrès à la différence de l'idée révolutionnaire de Marx ou du réalisme de Weber ou du républicanisme de Durkheim. Ses fondateurs sont William James, Charles S Peirce, George H Mead, John Dewey. Ils rejettent l'idée d'une connaissance absolue, liée à des vérités éternelles. Ils affirment que les hommes sont véritablement producteurs du sens qui les fait vivre, ce qui implique qu'ils ne font pas que se conformer aux conditions de vie préexistantes et les subir, mais qu'ils sont capables de changement, d'expérience ou de possibilités d'action (Dewey). L'homme se révèle être un animal socialisé, utilisant un outil collectif, le langage, pour se connaître.
Mead affirmera que si la communication entre les hommes était parfaite, la démocratie le serait également. Charles Horton Cowley, sociologue de l'école de Chicago proche du pragmatisme est l'un des premiers à définir la communication comme incluant le langage et les interactions individuelles. Il entrevoit dans la révolution technique des communications le moyen de fonder une véritable communauté secondaire.
L'optimisme du pragmatisme a souvent été critiqué, car véhiculant un darwinisme social et prêtant une faible attention aux questions liées à l'inégalité sociale. Son influence a été déterminante sur la sociologie urbaine de l'école de Chicago, qui sous la houlette de Robert E Park, est la première à avoir jeté les bases d'une étude ethnographique de la presse.

L'école de Chicago
Robert E Park ( 1864-1944) était un reporter rompu aux enquêtes journalistiques, militant de la cause noire. Il va concevoir comme une forme supérieure de reportage les enquêtes sociologiques qu'il va réaliser dans les banlieues. La ville sera le terrain d'observation privilégié par l'école de Chicago, véritable laboratoire social avec ses signes de désorganisation, de marginalité , d'acculturation, d'assimilation. Entre 1915 et 1935, ces chercheurs s'intéresseront principalement à la question de l'immigration et à l'intégration des immigrants à la société américaine. Park va s'interroger sur la fonction assimilatrice des journaux. Il va livrer une véritable sociologie de la presse, à travers l'étude de la division du travail au sein des journaux. S'appuyant sur la grande enquête de Thomas et Znaniecki sur les immigrés polonais il se penche sur la formation effective des publics dans le but de comprendre ce que font les gens de l'information. Les immigrés lisent les publications en anglais , même s'ils ne les comprennent pas parfaitement, dans le but de s'ouvrir à la société américaine. La communication de masse sert bien les fonctions d'intégration vantées par Dewey.
Par ailleurs, la référence à Simmel et à la métaphore biologiste sont à l'origine de la théorie d'"écologie humaine" élaborée avec E. W. Burgess.
On parle ensuite d'une deuxième école voire d'une troisième école de Chicago dont l'un des principaux représentants est, avec Howard Becker, Erving Goffman.
Goffman a été l'élève de Birdwhistell puis de Herbert Blumer et Everett Hughes. Il a publié Asiles livre basé sur son séjour dans une clinique psychiatrique où il étudia la vie des reclus. Il se centre sur l'interaction plutôt que sur l'individu et développe la métaphore théâtrale dans La présentation de soi considérant les personnes en interaction comme des acteurs qui mènent une représentation. Il a toujours privilégié l'observation participative aux méthodes quantitatives. Pour lui, l'interaction sociale est guidée par le souci de ne pas perdre la face.

mardi 2 février 2010

Les théories de l'interaction communicationnelle

La référence cybernétique

Nous avons vu précédemment comment le modèle linéaire de Claude Shannon pouvait intéresser les professionnels de la prise de parole en public. Cependant, les messages que nous échangeons se réduisent rarement au seul langage, et ils servent à bien d'autres choses qu'à nous informer mutuellement.

La distinction entre relation et contenu montrera que la communication ne se limite pas à l'information, celle-ci n'en constituant qu'une partie. Pour déchiffrer un message ou comprendre un comportement cela présuppose qu'on sache dans quel cadre entre celui-ci, dans quel type de relation il s'inscrit. Une femme qui se déshabille devant un homme n'a pas le même sens si cet homme est son médecin ou son amant. Pour comprendre une plaisanterie, cela induit le recadrage de messages ordinaires. Communiquer suppose une métacommunication, qui indique dans quelle case, à quel niveau ou adresse ranger le message qu'il soit visuel, verbal ou comportemental. Cette spécification du cadrage est souvent implicite mais à l'écrit devient explicite (exemple: lol , dans les chats pour indiquer une blague ou mdr, mort de rire, etc.).
Quand Gregory Bateson déclare que "communiquer c'est entrer dans l'orchestre" il indique que vous ne communiquerez pas si vous dissonez ou si votre musique s'harmonise mal avec les partitions des autres et les codes en vigueur. Entrer dans l'orchestre c'est donc jouer le jeu d'un certain code, s'inscrire dans une relation compatible avec les canaux, les médias, le réseau disponible. Or ce réseau nous précède.
Ce que suggère Bateson c'est" qu'avant d'envoyer un message, on doit commencer par se demander auprès de qui et sur quel instrument on doit le jouer".
Bateson caractérise la communication à l'aide de 5 principes:
La communication est un phénomène social
La participation à la communication s'opère selon certains modes , verbaux et non verbaux
L'intentionnalité ne détermine pas la communication
La communication sociale se laisse appréhender par l'image de l'orchestre
L'observateur fait nécessairement partie de l'orchestre
Le modèle de l'orchestre a été repris par Yves Winkin dans son ouvrage "La nouvelle communication".

On voit qu'avec ce schéma la communication est définie comme la production collective d'un groupe qui travaille sous la conduite d'un leader. Les questions à se poser seront : quelle est la conduite des acteurs?Quel est le code régulateur? Quelle est la prestation de chacun? Le schéma de linéaire devient circulaire.
On voit ici l'influence de Wiener, pour qui l'information doit pouvoir circuler. Il entrevoyait l'organisation de la société future sur la base de cette nouvelle matière première que sera l'information.

L'école de Palo Alto

Avec les membres de l'école de Palo Alto, la cybernétique débouche sur l'anthropologie pour se dissoudre dans les sciences humaines. Ce cercle intellectuel qui doit son nom à une petite ville californienne se compose de sociologues, psychiatres, linguistes ou mathématiciens liés par des réseaux informels. Ainsi " la communication va acquérir une valeur englobante: elle est la matrice dans laquelle sont enchâssées toutes les activités humaines". Mais le rejet de la linéarité et du système pour le système prôné par Bateson induit un déplacement décisif, à savoir, la découverte des éléments qui composent le tout et le produisent. Pour lui, les systèmes sont immanents aux actions, ils prennent forme dans les interactions que l'on observe et ne se situent pas en amont de ces dernières comme des sources cachées. Bateson, véritable chercheur pluridisciplinaire, s'associe à Birdwhistell, Hall, Goffman, Watzlawick. Dès lors, dans cette vision circulaire de la communication, le récepteur a un rôle aussi important que l'émetteur. Ils emprunteront des concepts et des modèles à la démarche systémique mais également à la linguistique et à la logique. Ces chercheurs tenteront de rendre compte d'une situation globale d'interaction et non pas seulement d'étudier quelques variables prises isolément.
Ils se fonderont sur trois hypothèses.
L'essence de la communication réside dans des processus relationnels et interactionnels (les éléments comptent moins que les rapports qui s'instaurent entre les éléments)
Tout comportement humain a une valeur communicative (les relations qui se répondent et s'impliquent mutuellement peuvent être envisagées comme un vaste système de communication)
Les troubles psychiques renvoient à des perturbations de la communication entre l'individu porteur du symptôme et son entourage
L'idée de communication comme processus social permanent intégrant de multiples modes de comportement comme la parole, le geste, le regard, l'espace interindividuel s'oppose à la notion de communication isolée comme acte verbal conscient et volontaire qui est sous-entendue dans la sociologie fonctionnaliste.
Ces chercheurs se sont référés pour la plupart au courant structuraliste car pour eux parler de systèmes était en résonnance avec structures. La référence la plus constante allant vers Claude Lévi-Strauss.
Ce "collège" ne fut pas une école au sens rigoureux, européen, du terme avec des fondateurs et des disciples. Il fut un milieu fécond d'échanges, de confrontations, de filiations.
L'école de Palo Alto n'a pas réussi à prouver que tout était communication au sens où l'entendait la cybernétique et la linguistique, elle ne s'est pas par ailleurs intéressé à la communication de masse mais elle a montré en revanche que des pans entiers du comportement humain, notamment les techniques corporelles, devaient être intégrées dans les sciences sociales. La communication est donc faite de culture, de gestes, de silences, d'intonations et de règles d'interaction, ce que ne prennent pas en compte bon nombre de théories( de Shannon à Lazersfeld par exemple).

TD : Télévision et culture s'opposent-elles ?

Quelques idées pour orienter votre pensée

On est tenté d'emblée d'opposer télévision et culture. Pourquoi? De quelle culture parle-t-on? La télévision est-elle un objet de culture voire une médiaculture?

La télévision renvoie à l'idée de communication de masse et est donc souvent jugée contradictoire avec celle de culture qui est associée à l'œuvre artistique qui renvoie à l'élite. La télévision est un flot d'images indifférenciées, de nature industrielle et confine le téléspectateur à la routine et à la passivité, au plaisir immédiat. A contrario, la pratique artistique ou la consommation culturelle est active et déstabilisatrice. Pour dépasser cette vision de la culture faisons appel à Adorno et à sa vision de la culture populaire qu'il segmente en culture populaire ancienne et moderne. S'appuyant sur cette définition et sur les effets possibles de la télévision, ne pourrait-on pas envisager une autre télévision? Il existe des expériences de démocratisation culturelle à la télévision comme certaines émissions ou la chaîne Arte. Mais ce manichéisme est-il de mise?

De quoi parle-t-on quand on parle de culture?
Il existerait une "culture savante" ou "cultureuse", issue du XVIIIème siècle et propagée au XIXème siècle par les romantiques. "L'art pour l'art" fait son apparition à cette époque et va enraciner socialement une définition de culture "cultivée". L'école relayera cette dernière et l'amplifiera ce que Eric Maigret traduit par une définition scolaire de la culture. L'écrit y est survalorisé et l'éthique du plaisir exclut le plaisir car on y recherche essentiellement un plaisir cognitif, le rapport à l'oeuvre conservant une visée formaliste au détriment de l'agrément suscité.
On peut citer bien sûr Bourdieu et l'idée de "culture légitime" avec une corrélation entre la hiérarchie sociale et une hiérarchisation culturelle.

La culture a-t-elle un caractère composite?
On a tendance à considérer certaines formes de culture comme supérieures, le livre et les monuments en sont les exemples les plus évidents. La référence à la culture occidentale est aussi abusive. Mais la culture est-elle monolithique? De multiples études sur la production et la perception de l'art à diverses périodes sont là pour nous le rappeler.

La télévision peut-elle être envisagée comme médiaculture?
Média "bardique "selon Fiske, la télévision peut -elle devenir un des piliers de la culture et non plus une annexe. Pour Dominique Mehl, ce média est en grande partie relationnel et serait une nouvelle forme de culture participative dont les publics s'emparent pour animer les contenus, leur donner vie dans l'échange verbal et l'imaginaire d'une relation de "co-construction du sens qui peut passer aussi bien par les fictions, les jeux que par les talk-shows" (Eric Maigret).
Elle pourrait servir de porte d'accès à toutes les formes de communication sous la forme d'un "média à tout faire" remplaçant l'ensemble des autres formes culturelles pour les publics éloignés des biens et services culturels.
Pour Eco et Thorburn, ce média mêle au sein des mêmes oeuvres des techniques artisanales, culture orale, structures mythiques, innovations formelles, ironie et intertextualité, c'est-à-dire la plupart des modes de faire du sens et de la culture. Ainsi cette télévision serait le prototype même d'une "médiaculture", nouvelle forme de médiation politique et esthétique qui ne reposerait pas principalement sur une culture de la hiérarchie ni sur la séparation de la culture et de la communication(Maigret).
Il conviendrait alors de prendre en compte l'existence de cette culture télévisuelle, notamment l'école qui cherche une voie entre ouverture aux formes contemporaines de culture et enseignement des compétences traditionnelles.

mardi 26 janvier 2010

Ier CM : Les théories de l'information

Les chercheurs ont souvent produit des modèles pour expliquer la communication. Chaque modèle est lié à un contexte, à une époque et à un projet scientifique différents. Ce modèle agit selon Alex Mucchielli comme " un mécanisme perceptif et cognitif différents qui transforme la réalité en représentation." Il permet d'en voir certains aspects mais il en occulte également d'autres, ce qui fait qu'il n'est pas envisageable de penser à Un modèle unique de la communication mais à des modèles.
Le schéma de la communication présenté ci-dessous est un modèle souvent cité . Mais il faut insister sur le fait que ce schéma dit de la communication n'est qu'un essai de modélisation de la communication. Il ne faut pas l'envisager comme beaucoup le font trop souvent comme LE MODELE de la communication. Il emprunte à plusieurs théories que je vais succinctement rappeler ici.
La base de ce schéma est constitué par le modèle du télégraphe encore appelé modèle mathématique de l'information selon Shannon. Cette théorie est issue d'une réflexion sur les machines à calculer et sur les automates créés dans les années 1940. Elle est à associer à la cybernétique. Ces théories avaient pour but de décrire et développer le fonctionnement des mécanismes électroniques et biologiques. L'extension de leurs concepts aux comportements humains s'est produite pour de multiples raisons et renforça le modèle linéaire de la communication.
La théorie mathématique de la communication est née de la télégraphie et de la cryptographie, des efforts de l'ingénieur électricien Claude Shannon. Ce dernier était chargé chez Bell Telephone Laboratories de clarifier le processus de formulation de messages cryptés pendant la seconde guerre mondiale ainsi que d'optimiser la transmission des messages c'est-à-dire de répondre à la question suivante : Comment faire circuler le plus grand nombre de messages en un minimum de temps et cela sans perte? Il faut noter que cette démarche s'inscrit dans une vision instrumentale de la communication ce qui sera combattu plus tard notamment par l'école de Palo Alto entre autres.
Ce schéma est linéaire et on trouve deux pôles qui définissent une origine et une fin, la communication repose alors sur une chaîne de constituants : source, émetteur, canal, récepteur et destinataire. La source d'information produit un message (la parole au téléphone), l'émetteur ou encoder qui transforme ce message en signaux afin de le rendre transmissible (le téléphone qui transforme la voix en signaux électriques), le canal qui est le moyen utilisé pour transporter les signaux (câble), le récepteur ou decoder qui reconstruit le message à partir des signaux et le destinataire qui est la personne à laquelle le message est transmis.
Ce qui donne le schéma suivant dans le cas de la communication orale.
L'objectif de Shannon était de dessiner un cadre mathématique à l'intérieur duquel il est possible de quantifier le coût d'un message, d'une communication entre deux pôles en présence de perturbations aléatoires dites "bruit".
Le présupposé de la neutralité des instances émettrice et réceptrice s'est ainsi trouvé transposé dans les sciences humaines qui se sont réclamées de cette théorie. Or Shannon ne tenait pas compte de la signification des signaux c'est-à-dire du sens que lui attribue le destinataire.
Weaver viendra compléter à cet effet ce modèle.
On complète ce schéma en faisant appel à Norbert Wiener qui fut le professeur de Shannon. Wiener s'est imposé comme le père de la cybernétique que l'on peut présenter comme la science des machines ou de l'organisation. Il fonde sa réflexion sur le principe de la supériorité du tout sur les parties : chaque élément d'un organisme est fonctionnel et doit contribuer au maintien de l'ordre biologique global. Il introduit un processus de feed-back ou rétroaction, ce qui change la situation car un correcteur permettra ainsi de corriger une erreur ( de tir dans l'ajustement des tirs anti-aériens de DCA pour lequel Wiener était mandaté). Cela s'apparente dans le schéma de Shannon à un mécanisme de réduction du bruit, lui-même assimilé à l'incertitude.
Ce que l'on peut résumer par un schéma emprunté à Mucchielli.
La notion de référent vu dans le premier schéma fait quant à elle référence au modèle linguistique de Jacobson.

Théories de l'information et de la communication

Objectif :
Il s'agit ici de proposer un panorama des grands courants de recherche en Sciences de l'Information et de la Communication. Je mettrai l'accent sur les différents concepts et problématiques liés aux phénomènes de communication ainsi que sur leurs conditions d'émergence.

Ier C M : Les théories de l'information
Le modèle Shannon/Weaver
L'analyse systémique
La Cybernétique de Wiener

IIème CM: Les théories de l'interaction communicationnelle
La communication sociale
L'école de Palo Alto

IIIème CM: L'école de Chicago

IVème CM: Les Mass Communication Research
La sociologie fonctionnaliste des médias
Le double flux de la communication

Vème CM : Les analyses critiques
Les cultural studies
L'école de Francfort

VIème CM
Réflexions sur la société de communication et préparation à l'examen

Le second semestre comptera également trois TD

Ier TD : Télévision et culture

IIème TD : Culture de masse Analyse des séries télévisées

IIIème TD : à définir