Les mythes de la communication par Nicolas Journet
L'auteur pose sept questions.
Pourquoi l'ère de la communication?
Pour cet auteur, les nouvelles technologies de l'information et de la communication ont fait naître, au lendemain de la seconde guerre mondiale, l'espoir d'une révolution qui mettrait fin aux fléaux persistants des sociétés développées ; arbitraire, opacité, conflits, violences... mais la prophétie laisse bientôt la place au désenchantement et aux critiques.
Nicolas Journet est journaliste et pas un chercheur en sciences de l'information et de la communication mais sa réflexion est intéressante à plusieurs titres.
Il compare les industries de l'information et de la communication à un mythe moderne, car créditées de certains pouvoirs comme celui de résoudre les conflits d'intérêts et d'idées ou d'accroître la démocratie.
Il fait un retour historique qui pourrait expliquer l'entrée en société de l'information avec le rappel de l'influence sur la sphère scientifique de Norbert Wiener et la cybernétique. Pour Wiener, la communication jouerait un rôle de transformation globale de la société. Les dysfonctionnements de la vie en société sont attribués à des causes informationnelles comme la rétention, le blocage, les erreurs, le bruit...
Le savoir : une nouvelle richesse?
Second auteur cité, le sociologue américain Daniel Bell, qui est, avec le Français Alain Touraine, à l’origine du courant sociologique Post-industrialiste et considérés comme les pères de l’informationalisme.
A la fin des années 50, et faisant suite à l'ère industrielle, une nouvelle ère voit le jour avec la montée des secteurs de service, l'importance des compétences théoriques et techniques. Les idéaux politiques laissent la place au savoir des scientifiques.
Vers un monde unique?
Dès les années 60, l'espace et le temps sont contractés grâce aux capacités des réseaux de télécommunication faisant resurgir une ancienne utopie: la disparition des frontières entre les communautés humaines menant à la création d'un monde unique, symbolisé par le "village global" de Marshall McLuhan. L'homme peut mener une existence de villageois et entrer en relation avec le monde entier, ce qui est possible avec l'avènement d'internet.
Pourtant, le sociologue Manuel Castells relèvera des désordres ( mafias, krach boursier) et des réactions politiques engendrés par ce "nouvel ordre mondial".
Le rêve de la démocratie directe?
L'abondance des sources d'information et des moyens de diffusion permettrait à tous l'accès aux biens culturels. Par ailleurs la télématique transformerait l'exercice du pouvoir politique puisque chaque citoyen aura la possibilité de s'informer et de d'intervenir dans les décisions politiques locales. Les réseaux câblés et les mémoires informatiques rendent potentiellement superflue l'existence de représentants, on se dirigerait vers la démocratie directe sans représentants politiques. De plus l'interactivité soumet les médias de masse à la critique des consommateurs.
Selon les conceptions on obtiendrait un réseau d'acteurs de plus en plus autonomes mais guidés par la morale de la communication ou à l'inverse une constellation de groupes d'intérêts en compétition.
Une stratégie des idées?
On est dans la sphère géopolitique. Les flux d'information ont une influence directe sur l'état des relations internationales et la "diplomatie des réseaux"" succèderait à la diplomatie de la canonière". Les supports sont le cyberespace et l'objectif recherché: la diffusion des idéaux démocratiques et libéraux.
Ordre ou désordre?
Avant on jugeait néfaste les effets de la communication de masse, maintenant il s'agit de tourner en dérision le post-modernisme . En 1970 , Baudrillard dénonçait l'emprise symbolique de la publicité et des médias sur l'homme moderne. Avant les technologies de l'information et de la communication incarnaient plutôt "Big Brother". Pour d'autres, elles deviennent les vecteurs de l'individualisme et de la fragmentation sociale. L'individu serait devenu apathique et sans lien et ne chercherait qu'à combler ses manques dans la sphère communicationnelle. Baudrillard décrit l'époque contemporaine comme une ère de simulacres où les images tiennent lieu de réel. Ce qui fait dire à Philippe Breton qu'il ne s'agit qu'illusion d'harmonie, individualisme, tribalisation sociale, effondrement des valeurs, nivellement des savoirs. Des visions critiques vont émerger et attribuer aux N T I C le pouvoir d'agir profondément sur les rapports sociaux mais pas pour le bien de l'individu.
Vers la conscience universelle?
Certains analystes donnent au phénomène communicationnel la dimension d'une mutation de la nature même du savoir humain. Émergence d'une intelligence collective par le truchement des réseaux numériques?
Arrivée d'une sphère universelle du savoir sans auteurs sans hiérarchie de nature qui serait le produit des sujets et des machines? Dans le cyberespace il n'y aurait plus ni conflit, ni critique mais seulement partage comme dans la "noosphère de Pierre Teillhard de Chardin".
Pour aller plus loin :
L'ère des réseaux. Entretien avec Manuel Castells
http://www.scienceshumaines.com/l-ere-des-reseaux-entretien-avec-manuel-castells_fr_12093.html
L’IDEE DE DEMOCRATIE ELECTRONIQUEORIGINES, VISIONS, QUESTIONS par Thierry Vedel
http://gdrtics.u-paris10.fr/pdf/ecoles/sept2003/01-03_vedel.pdf
Extraits d'un entretien avec Dominique Wolton
Pour une cohabitation... culturelle
Morceaux choisis en vue de la préparation à l'examen
Le monde est peut être devenu un village global sur le plan technique, il ne l'est pas sur le plan social, culturel ou politique. Loin de rapprocher, les N TIC révèlent l'hétérogénéité des systèmes de valeurs. L'autre qui était une réalité lointaine, est devenu une réalité avec laquelle il faut cohabiter. En bref, l'abondance d'informations ne simplifie rien, on peut même dire qu'elle complique tout.
Nous ne sommes plus dans la situation où les identités culturelles bien constituées se frottaient aux autres, mais dans un frottement généralisé qui peut alimenter un sentiment de dépossession, de pertes de repères... C'est pourquoi je considère que plus il y a de la communication, plus il faut renforcer les identités culturelles pour que des peuples ne se sentent pas dépossédés ou menacés par l'ouverture aux autres. Car alors, le risque est de basculer dans ce que j'appelle une "identité-refuge". J'entends par identités culturelles identités non pas repliées sur le communautarisme mais au contraire reliées à des valeurs politiques démocratiques. Le récepteur filtre et hiérarchise mais il ne peut le faire seul. Sa capacité critique suppose comme condition préalable l'existence d'une identité culturelle. Et dans cette hypothèse, la capacité de résistance des récepteurs n'est pas a même d'un pays à l'autre, selon que l'identité culturelle est affirmée ou déstabilisée.
Le village global est une réalité technique qui attend un projet politique; car plus les techniques réduisent les distances géographiques, plus les distances culturelles prennent de l'importance et obligent à un projet humaniste pour que les hommes se tolèrent. Sinon, l'information et la communication, qui ont été pendant des siècles des facteurs de liberté et de progrès, peuvent devenir au XXIème siècle des facteurs de guerre."
On peut passer des heures avec des machines, sans être capable d'entretenir des relations humaines et sociales satisfaisantes. Le progrès technique ne suffit pas pour créer un progrès de la communication humaine et sociale. Opposer les anciens et les nouveaux médias est une problématique dépassée; il faut les penser ensemble. L'essentiel de la communication n'est pas du côté des techniques mais du côté des hommes et des sociétés.
Dominique Wolton est directeur de recherche au CNRS.
Vers une intelligence collective? de Jean-François Dortier
Morceaux choisis en vue de la préparation à l'examen
Avec sa théorie de la noosphère, Pierre Teillhard de Chardin aurait-il anticipé l'émergence d'une pensée universelle dont Internet serait devenu le support? L'étude du fonctionnement des communautés scientifiques sur internet tempère cet espoir de constituer une intelligence collective.
La noosphère ou sphère des idées est à l'image de la biosphère ou de l'atmosphère qui enveloppent la planète et se développe avec toutes les formes de connaissances humaines qui se répandent sur la Terre. Ainsi de mille pensées individuelles va émerger une pensée collective.
Teillhard de Chardin est la référence pour bon nombre de théoriciens d'Internet. D'un réseau d'ordinateurs inter connectés émergerait une intelligence collective.
Cette thèse de l'intelligence collective ou attitude baptisée "webtitude" est fondé sur l'interactivité, l'hypertextualité (les contenus de savoir sont liés les uns aux autres par des liens), et la connectivité. Le savoir devient partagé par tous.
Mais si l'on prend l'exemple des chercheurs scientifiques on s'aperçoit que le Net transforme les conditions de production des revues scientifiques, accélère la communication entre les chercheurs mais ne change pas les règles du jeu.
Ainsi il ne change pas le mode de collaboration de ces derniers, ni les stratégies pour conserver des secrets que les autres chercheurs ne doivent connaître sous peine de se voir dépassés par eux.
D'autre part le Net n'abolit pas les les frontières entre les communautés scientifiques, pas plus celle entre scientifiques et citoyen lambda.
Le www n'est pas plus une bibliothèque virtuelle universelle car la réglementation des droits d'auteur empêche la publication des ouvrages récents.
Dortier pense que la connexion des intelligences par le biais d'ordinateurs ne suffit pas à produire une conscience collective, ou univers de pensée virtuel car la diffusion des savoirs est plus complexe et met en jeu beaucoup d'acteurs différents avec des enjeux concurrents quelquefois.
L'intégralité des textes se trouve dans " La communication , état des savoirs" aux éditions Sciences humaines
Autre livre :
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire