I Approche des communications par les médiations matérielles : la médiologie
La théorie médiologique
Régis Debray appelle "médiologie"
l'étude des médiations à travers lesquelles les idées deviennent des forces matérielles. Il s'agit de comprendre comment la parole d'un prophète devient église, un séminaire, une école, un manifeste, un parti. Comment des forces symboliques deviennent des forces matérielles. La réponse passe par une étude des "technologies de la croyance", c'est-à-dire des voies par lesquelles les idées se diffusent et s'incarnent dans le monde.Les études de Régis Debray l'amènent à formuler une théorie reposant sur quelques principes extraits inductivement des cas. Il formule ainsi la "loi des trois états" du développement des médiateurs culturels.
Dans médiologie, "médio" désigne, en première approximation, l'ensemble techniquement et socialement déterminé des moyens de transmission et de circulation symbolique. La médiologie consiste à établir, au cas par cas, des corrélations, si possibles vérifiables, entre les activités des hommes (religion, idéologie, littérature, arts, etc.) ses formes d'organisation politique et ses techniques de mémoire. Debray prend comme hypothèse que ce dernier niveau exerce une influence décisive sur les deux premiers. Une table de repas, un système d'éducation, un café, une chaire d'église, une salle de bibliothèque, une machine à écrire, un parlement ne sont pas faits pour diffuser de l'information, ce ne sont pas des médias, mais ils entrent dans le champ de la médiologie en tant que lieux et enjeux de diffusion, vecteurs de sensibilité et matrices de sociabilité. (Debray, 1994)
Ces étapes (logosphère, graphosphère, vidéosphère) commandent tout un système socioculturel (mentalité, mode de vie...)
Chaque média dominant est à la source de transformations de la sensibilité des hommes et de transformations objectives du milieu de vie, ces transformations se produisant en chaîne.
La problématique et l'objet d'étude de la médiologie
Le point de départ de la médiologie est une interrogation fondamentale sur un certain nombre de phénomènes observé : pourquoi telle idée, telle idéologie, tel idéal révolutionnaire ne se sont-ils pas propagés? Pourquoi, en revanche, la religion chrétienne a-t-elle connue l'expansion et le succès? pourquoi l'idéologie marxiste qui a, pour sa diffusion, beaucoup d'analogies avec cette religion, a-t-elle échoué? La réponse à ces questions est à trouver du côté des "faits matériels". C'est ainsi que les objets d'étude de la médiologie apparaissent: il s'agit de tous les médiateurs physiques de la communication. La médiologie est plus précisément alors l'étude des phénomènes matériels de la transmission culturelle.
"N'est-ce pas l'automobile, le son, l'image à domicile, le disque, la télé, ces accélarations de l'individualisme, qui ont mis le projet de civilisation socialiste à mal"
La méthode utilisée par la médiologie
Il s'agit d'études de cas dans lesquelles le chercheur tente de reconstituer toutes les étapes du développement ou de la perte de puissance d'une pensée à travers tous les moyens matériels qu'elles mobilisent. Ce travail nécessite une érudition et des recherches précises d'historien des techniques.
Il s'agit d'établir une corrélation systématique entre : d'une part les activités symboliques (idéologie, politique, culture) ; et d'autre part les formes d'organisation, les systèmes d'autorité induits par tel ou tel mode de production, d'archivage et de transmission de l'information. Voilà le but.
"En d'autres termes : les fonctions sociales qu'on appelait supérieures en bonne philosophie, ne peuvent être étudiées indépendamment des structures sociales et matérielles de la transmission, en dehors des supports de traces, ou des mémoires produites par le développement de la société. Plus que de décloisonner des domaines de recherche, il s'agit d'un entrecroisement des genres et des méthodes : la problématique de la médiologie doit prouver son mouvement en marchant. C'est-à-dire : désidéologiser les idéologies, mais à l'inverse spiritualiser les supports matériels, "idéologiser" les techniques de transmissions. Mentaliser l'outillage mnémotechnique de nos sociétés et techniciser notre outillage mental.
Comment parvient-on à ce type d'hypothèse générale ? Personnellement, j'ai fait une enquête sur l'évolution du "pouvoir intellectuel en France".
J'ai ensuite étudié l'histoire de la prise de corps marxiste en Europe : comment naît d'abord une école de pensée, un mouvement politique, un parti, puis des états. J'ai étudié aussi l'ecclésiologie catholique, enfin, -- et personnellement -- je me suis trouvé entre les frontières du "dire et du faire", dans une pratique personnelle d'un intellectuel qui essaie de transformer en action un discours. Donc qui est obligé de concevoir le discours comme parcours.
Prenons l'exemple du Pouvoir intellectuel en France ; d'abord, l'approche médiologique consiste à ne pas donner une définition substantive mais opératoire de l'intellectuel. C'est la fonction qui fait le statut et non l'inverse. La fonction du "transmettre", en l'occurrence. L'intellectuel est le fils du clerc et non du moine, bien entendu. La logique des opérations est donc celle des appareils de transmission. La logique de cette histoire politique est celle de l'histoire des techniques.
Par exemple : l'histoire des intellectuels d'aujourd'hui est celle d'un milieu qui vit dans une écosphère clôturée par trois pôles : L'Université, L'Edition, Les Médias. Bien sûr, ces pôles coexistent dans le moment présent mais chacun d'eux est historiquement daté. Ceci permet d'utiliser une démarche : si la question du transmettre est catégoriale et transhistorique, la réponse à la question ne peut être qu'historique, particulière et locale. Il faut donc faire de l'histoire, mais aussi aller plus loin.
Il s'agit d'une approche à la fois historique et structurale. La fonction des organes de transmission est plus importante que leur intitulé. Pour dégager la logique des traces, il convient de ne pas s'obnubiler sur les signes et insignes. Par exemple : le journaliste remplit la même fonction que l'église autrefois. Le médiatique est l'ecclésiastique du jour.
On voit ainsi que l'étude de cas est complètée par l'utilisation de la dialectique, raisonnement qui s'efforce d'analyser l'évolution des phénomènes sous l'impact de leurs tensions et de leurs antagonismes. On confronte par exemple des phénomènes d'ordre différent comme les supports techniques et les faits culturels. On montre ainsi comment ils s'interpénètrent et interagissent.
Problème posé par la médiologie
La médiologie se positionne comme une approche positiviste, posture intellectuelle quiui apparaît pour certains comme largement inappropriée à l'étude des phénomènes communicationnels car ceux-ci sont essentiellement des phénomènes de sens.
« L’approche positiviste stipule que seules les données observables et mesurables devraient être retenues pour la recherche. Le positivisme est une démarche mise au point pour les sciences naturelles et qui est désormais appliquée aux études sociales. »(Winberg )
Il semblerait que l'on ne puisse évacuer les significations et le sens de la compréhension des phénomènes humains. Pour certains auteurs, Régis Debray manipule les significations et le sens d'une manière cachée.
"Comment traiter des phénomènes de diffusion des idées dans les milieux humains sans parler du sens que ces actions ont pour les acteurs qui les font. Comment aborder la diffusion du catholicisme, comment parler des conversions au christianisme te tels ou tels indivvidus, groupes sans prendre en compte ce que signifiait pour ces acteurs humains le fait d'adhérer, à leur époque, au christianisme? La négation du sens de ce qui se passe pour les acteurs sociaux dans les diffusions d'idées revient à simplifier de manière caricaturale la complexité des phénomènes humains.(Alex Mucchielli)
Eric Maigret parle, quant à lui, d'un" déterminisme technologique qui tient à sa distance ou à son ignorance des nouvelles technologies de l'information car il est essentiellement préoccupé par la question de l'écrit, de l'imprimé, qui lui semble être au cœur du paradigme de la transmission. " Ce courant semble donc négliger toute la nouveauté de son temps, ce que récuse les médiologues.
II L'approche par la "communication-processus"
La théorie sémio-contextuelle
Le concept de "situation-problème pour un acteur social"
Il s'agit de considérer la situation et sa problématique incorporée, du point de vue de l'acteur. Cette situation et sa problématique pour un acteur représentent la définition que cet acteur donne de cette situation concrète dans laquelle il est impliqué. Cette situation définit une partie du monde, suffisante pour que les activités immédiates de l'acteur prennent un sens pour lui et lui permettent de tenter de résoudre la "problématique" posée par cette configuration particulière du monde pour lui.
Le chercheur va tenter de reconstruire cette vision individuelle en s'appuyant sur l'observation des actions, le recueil des dires de l'acteur et de témoins ainsi que sur des entretiens non directifs. S'ensuit un travail d'analyse d'où émergera une formulation de la situation pour l'acteur.
Propriétés de la situation-problème
Elle est toujours"situation pour un acteur social".
Une situation a toujours une problématique principale pour un acteur.
La situation est à la base des phénomènes de genèse du sens Pour l'acteur, le sens d'un phénomène émerge d'une mise en relation de ce phénomène (conduite, communication) avec la situation dans laquelle il se trouve.
L'objet d'études
Les études, dans l'approche sémio-contextuelle de la communication, s'efforcent d'expliciter le travail de la "communication généralisée processuelle",. Cette dernière étant une conduite expressive d'un acteur social qui est examinée du point de vue de son fonctionnement en tant que processus transformant certains éléments pertinents des contextes d'une situation-problème. Il y a toujours un arrière plan dans lesquelles les choses prennent un sens.
La communication est considérée comme un processus.
Il existe bon nombre d'analyses sémio-contextuelles, toutes "constructivistes". La principale est certainement la méthode de la contextualisation situationnelle dynamique présentée par Alex Mucchielli. Dans l’approche de la sémiotique situationnelle, il n’y a pas de “situation en soi”, c’est-à-dire de situation qui ait une “réalité” objective, définie et définitive.
Ce chercheur reprend l'exemple de l'aveugle qui mendie sur un pont de Brooklin avec à ses genoux une pancarte "aveugle de naissance" qui sera remplacée par un inconnu qui écrira "c'est le printemps, je ne le vois pas"., pancarte qui maintenant a pour effet d'arrêter les passants qui jetteront des pièces alors qu'ils passaient indifférents auparavant. Il prouve ainsi grâce à son analyse utilisant la méthode du tableau comparatif de l'évolution de la situation, que la communication -en tant que processus- intervient pour changer la situation.
http://www.xn--smio-bpa.com/Analyse-d-une-scene-de-mendicite_a111.html
L’article montre que la communication intervient sur la situation définie par les acteurs en présence. Pour ce faire, elle fait intervenir de nouveaux éléments et les met en place dans les différents contextes constitutifs de cette situation. Au final, elle fait donc apparaître une nouvelle situation. En conséquence, dans la nouvelle situation ainsi construite, une conduite qui avait lieu auparavant, change de sens si elle reste la même, puisque son environnement de référence a changé. Ce phénomène concourt donc à faire changer la conduite des acteurs en présence, car ils abandonnent souvent leur ancienne conduite. Ainsi donc, la communication ne « manipule » pas les acteurs, contrairement à l’idée banale répandue, mais elle manipule la situation définie par ces acteurs. C’est le changement de la situation qui mène à la modification des conduites. Il s’agit là d’une nouvelle conception des « effets » de la communication apportée par la sémiotique situationnelle.
III L'approche par la systémique des communications
Les diffférentes systémiques
La systémique des communications abordée par l'école de Palo Alto n'est que rarement utilisée dans les études sur les communications. Citons toutefois la théorie systémique actuelle de communications dite école de Bézier qui prolonge les travaux du collège invisible.
Conclusion
Il faut noter que nous n'avons vu seulement que quelques unes des principales approches des phénomènes de communication. Il s'agit ici de vous montrer l'extrême diversité de ces approches, tant dans les théories de référence, dans leurs problématiques et objets d'étude et dans leurs méthodes d'analyse.